La Sarrazine

Parc privé, Lauris, France, 2006.
Avec l’aimable collaboration d’étudiants de l’Université de Provence Aix-Marseille.

Photographie noir & blanc sur dibond : 180 x 120 cm (collection privée, Zürich, Suisse)
In situ, sculpture pérenne vieillissant avec le temps : 500 x 500 x 400 cm

(…) A l’automne dernier en effet (novembre 2006), MÉCHAIN y a encore réalisé La Sarrazine, du nom du lieu de son intervention dans un parc privé. La question en forme de défi : que faire d’un grand pin d’Aleph abattu l’été précédent et débité en gros modules de cinq cents à mille kilos ? Le lieu et le matériau étant donnés, comment en faire quelque chose en commençant, bien entendu, par prendre la mesure des contraintes imposées? Comment manipuler, construire, ériger avec des mastodontes que seule une grue peut soulever et déplacer ? La sculpture assemble trois morceaux, tout comme, en plus léger, la première installation de Lauris. Je suis frappé, au passage, par les réminiscences et les échos circulant dans l’œuvre au fil des années et des pays : à la faveur d’un document relatif à l’exposition d’un nombre significatif d’œuvres l’été 2005 à Saint Jacques de Compostelle, qui place en vis-à-vis dans la page Arkadia (Grèce, 2000) et Château de Lauris (France, 2003), j’observe que  non  seulement  le  motif  des  disques  réapparaît  dans  la  seconde  pièce, mais  que  des parentés formelles fortes interpellent le regardeur (reprise de la triade en blanc-gris-noir, mouvement dévalant sublimé en fixité explosive).


La Sarrazine
est de nouveau une triade de troncs. On dirait, j’exagère un peu l’impression, un combat d’ours, ou plutôt un embrassement de monstres. L’artiste a travaillé avec une petite équipe d’étudiants en arts plastiques. Faute de l’herminette des charpentiers, c’est le ciseau à bois qui est venu à bout de délarder et de dresser le premier tronc (à gauche sur l’image) de telle sorte, indique MÉCHAIN, qu’il puisse prendre la lumière. Le second tronc (à droite sur l’image), dont la masse foncée s’oppose à son antagoniste clair, a été conservé en son écorce ; il a fallu tout de même couper les branches et travailler à la tronçonneuse le trou béant de son flanc. Cette blessure fait à tous égards le milieu de la sculpture. Son centre est un ventre. À l’aide d’une grue, les deux troncs ont été érigés à l’équilibre, un départ de branche en forme de bras de la forme claire se piétant dans l’estomac défoncé du monstre noir. Au sol, au premier plan de l’étrange étreinte, un troisième être xyloïde, plus boulot, a l’air de dormir sur le dos. Ses nombreux départs de branche ont été dessinés à la tronçonneuse qui s’est avérée, en l’espèce, instrument inattendu mais performant du sculpteur. Celui-ci, qui voulait de son aveu privilégier l’haptique et y est parvenu, a donné à ces moignons une présence extraordinaire, presque fantastique. Le primitivisme et l’obsession matérielle, qui appelle le toucher – voilà la dominante de cette gigantomachie végétale en pleine Provence. (… )

Extrait de Voir jusqu’au bout des doigts, Michel GUÉRIN, écrivain et philosophe, 2007