D’un côté ou de l’autre
Pour une fois je suis l’étranger et je considère cela comme un énorme privilège. Cet état m’octroie une position confortable et me donne le sentiment de pouvoir regarder les choses de là-bas avec un minimum d’objectivité ; d’échapper à tout ce qui sied à ceux du cru - mais ne sommes-nous pas de ceux-là à un moment ou à un autre ? - lorsque les avatars de l’histoire, petits ou grands, restent les maîtres du jeu. Lorsque certains, mus par leur bonne foi et l’exigence de défendre leurs valeurs, se contentent de partialité, au pire d’ignorance au nom du dogme. Chacun sait pourtant que le combat est par essence voué à l’échec mais les habitudes sont fortes. Elles forgent la bonne conscience.
Comment comprendre alors que Jodoigne soit en même temps Geldenaken, qu’il faille trois facteurs préposés à la distribution du courrier dans un même village, que d’un côté ou d’un autre de cette fameuse ligne de partage, la numérotation téléphonique soit différente ou qu’un simple versta ik niet man, spreekt gij vlaams ? je ne comprends pas, parles-tu flamand ? puisse déboucher sur la mort de huit voyageurs et les blessures de pas mal d’autres en gare de Pécrot ? Des murs d’incompréhension et l’incompatibilité sont toujours là pour certains. L’Histoire a profondément marqué les esprits des deux communautés et ne permet plus guère de respecter us et croyances de l’Autre, réduisant encore un peu plus les dernières chances de l’envie du vivre ensemble.
Au dix-huitième siècle les philosophes des Lumières ont pourtant éclairé le monde et un temps laissé croire que la page était définitivement tournée, que désormais la Différence et l’Acceptation de l’Autre avaient un sens ; que jamais plus, penser, aimer autrement, suivre une politique différente ne justifieraient l’érection de barrières fussent-elles fictives ou de murs séparant deux communautés. Et si celui d’Hadrien et la Grande Muraille de Chine appartiennent aujourd’hui à l’Histoire, si plus récemment ceux de Belfast et de Berlin n’ont pas résisté à la pression des peuples, que dire alors, au prétexte d’un possible danger, de la construction toute récente de véritables frontières infranchissables à Ceuta, à Mellila, à Tijuana, à Gaza et plus largement entre Israël et la Palestine, entre le Maroc et le Sahara Occidental, à Pékin, entre les deux Corées, à Sadr City, un quartier de Bagdad, à Rio de Janeiro, à Padova en Italie…. - la liste est malheureusement sans fin et risque bien de s’allonger encore dans les années à venir.
L’actualité semble ainsi opérer un véritable retour en arrière et le communautarisme, alimenté par la pauvreté, les inégalités de tous ordres, le ressassement des vieilles ritournelles, se développe partout dans le monde. Les réunions nationales et internationales ont beau se multiplier, les projets, refontes et futurs décrets continuent de s'empiler sur les bureaux ministériels sans qu’on puisse entrevoir la moindre solution. L’économie et les certitudes sont toujours aussi tueuses, les pouvoirs décisionnaires pas toujours entre les mains de ceux qui pensent en être porteurs. Chacun a toujours autant de prétextes à dénigrer ce qu’il a du mal à comprendre.
Le mur : une inévitable fatalité ?
François MÉCHAIN, 16 septembre 2009
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