Rencontrer, sans en être averti, au détour d’un bois, à l’aplomb d’un champ ou à la trouée d’une clairière telle sculpture de François MÉCHAIN ne pourrait manquer de provoquer chez le spectateur moyen – catégorie dont je ne m’exclus guère – quelques interrogations sur les mobiles d’un tel assemblage. Soit l’on est en présence de quelque méthode de collecte ou de moisson, suivant une technique savante qui la distingue d’une autre région ou d’une autre corporation ; soit l’on est confronté aux facéties de quelques robinsons d’école buissonnière, drôlement appliqués cependant, soit il s’agit de quelque rituel ancestral renvoyant au temps où l’on questionnait la forêt, où la forêt répondait, où les anciens élevaient à la divinité tel chêne, tel rocher quand il ne construisait pas un tumulus. Enfin, il pourrait s’agir aussi d’un caprice de la nature, d’une façon qu’elle aurait de se rappeler à notre attention en refusant ces haies taillées, ces sentiers balisés, ces prairies moissonnées, en secouant soudain son pelage, en redressant l’échine et l’écorce comme un animal blessé.


Ce qui étonne ensuite, c’est l’apparent désordre de l’entreprise, sa spontanéité, son urgence, impression vite démasquée par la révélation d’une minutieuse organisation du matériau, extrait du lieu et rarement importé. En ce sens, François MÉCHAIN, lorsqu’il élit un site tient compte de ses ressources pour en livrer la synthèse et trouver un dérivatif au cercle des saisons. Au point que, pour lui, le paysage, au sens géographique ou historique du terme, revêt une égale importance à ce qui le compose, ses éléments physiques, géologiques ou végétaux.

L’autre impression est celle, non d’une soumission de la nature, ou de l’assujettissement à un acte sculptural, mais bien d’une expansion de celle-ci, d’une révolte ou d’un sursaut dont l’artiste n’aurait été que l’instigateur, l’activiste. Les possibilités de la nature, voici ce qui anime MÉCHAIN, caressant l’espoir d’en être un temps le secret démiurge.
Voici plus de vingt ans, ses Equivalences associaient selon une construction verticale quatre à six photographies, agencées pour une lecture panoramique, soit du ciel à la terre, en captant quelques éléments susceptibles de déclencher par analogie un processus poétique : d’un ciel nuageux aux moutons d’une prairie, le syllogisme opérait à la fois sur le langage et sur l’image (Equivalence, 1978), en abolissant la frontière, bien que la nette séparation entre chacun des clichés ainsi construit ne cachait rien de l’organisation de l’œuvre et niait à la photographie quelque objectivité, quelque référence au réel.


Ainsi, au Québec, cette concentration de conifères dressés et serrés, élagués en périphérie mais feuillus au centre, comme épargnés par une guerre ou un fleuve, qui se regrouperaient pour affronter un assaut final (Chemin au Porc-épic, Canada 1990). De même, ce rouleau d’herbes et de plantes qui semble s’avancer à la conquête des collines autour d’Athènes ou être l’ultime témoin végétal d’une ville disparue (Kaissariani, Grèce, 1993). Je songe aussi en cette expression d’un sentiment de « rébellion naturelle » à la Sculpture fiction n°7, (France 1988) dressée comme un copeau sur la planche du xylographe, tentacule dérisoire pour menacer le ciel, à ce Double négatif, (France, 1995), diptyque photographique présenté en positif et en négatif selon une prise de vue différente et montrant, s’enroulant sur les branches maîtresses d’un arbre, deux bandes de gazon prélevées du sol.

Ailleurs, c’est l’observation d’une colline boisée à l’horizon qui suscite la réalisation d’une sculpture accumulant branchages et troncs pour reproduire à l’avant-plan l’ondulation du décor (La Rivière Noire, Canada, 1990), œuvre imperceptible, presque camouflée qui échapperait au spectateur distrait si la photographie ne venait nous en proposer une formulation explicite, simulacre encore de la montagne en réduction. Le problème de l’échelle en réduction se retrouve également dans les Pièges à lumière réalisés pour Chicoutimi au Canada, grandes corbeilles tressées de branchages, posées comme des nids dans l’herbe, ou formulé jusqu’au pièges par les Coins, considérablement agrandis par le tirage photographique, et dressés comme des totems.


L’on songe au Land Art bien sûr, mais c’est, à quelques exceptions près, à une vision plus intime que convie François MÉCHAIN, à une conception de pisteur plus que de paysagiste allant jusqu’à l’étude, dans ses Territoires/Traouiero (1992), du bruissement et de la tension d’un feuillage, reproduit comme pour une leçon de physique avec ces mots « flexibilité », « résistance » que le tronc sépare, ou liant entre elles d’un cordon blanc les branches d’un châtaignier pour en suggérer sous l’apparente immobilité la force et la tension.
Car c’est pour François MÉCHAIN un autre aspect, une autre tentation peut-être, que l’intervention du mot dans les images, comme en cet écran fragile de branchages qu’il tend au Canada entre Toronto et l’île où il se tient, y superposant deux définitions rédigées en anglais du mot « île ». Que François Méchain vive au pays de Jacques CHARDONNE, celui réputé où l’on prend le temps de vivre et de voir, n’est pas pour me déplaire, en cette faculté qu’il a d’observer avant que d’agir, en sa compréhension et son accord avec le paysage.

Me relisant, je m’aperçois au terme de ce texte avoir peu parlé de photographie. Est-ce, dans le cas de MÉCHAIN, important de savoir s’il est sculpteur qui photographie ou un photographe qui sculpte ? la photographie est pour lui un élément du processus amenant l’œuvre, ce processus qui va de la promenade à la recherche du site jusqu’à la réalisation de l’installation, son devenir ou sa destruction. Ce n’est pas tant une image du souvenir qu’en fixe MÉCHAIN, mais une autre possibilité qu’il offre à l’œuvre, un autre état, un compromis entre ce qui n’est pas et ne sera plus.

Xavier CANONNE,
Directeur du Musée de la Photographie.

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